La vérité sur le cinéma porno – 10/1975 – Dossier de la semaine – Ciné-Revue

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LA VÉRITÉ SUR LE CINÉMA PORNO

Nous continuons de vous partager nos archives issues de notre bibliothèque du Porno… Voici la transcription du dossier de la semaine de l’hebdomadaire Ciné-Revue numéro 41 du 09 Octobre 1975. Un dossier consacré a clarifier « la vérité sur le porno« … qui rappelons venait juste d’être légalisé en cette année 1975 !

LA VÉRITÉ SUR LE CINÉMA PORNO

Dans le précédent n° de « Ciné-Revue », deux comédiennes et un cinéaste spécialisés ont dévoilé ce que sont les coulisses de l’industrie du porno. Le temps est venu, aujourd’hui, de faire le point sur la fonction sociale, culturelle et économique de l’incroyable phénomène que constitue, en France aussi bien qu’en beaucoup d’autres pays, l’actuel raz-de-marée de films pornos qui déferle sur les écrans, déborde des salles spécialisées et envahit l’ensemble de la production…

De toute la presse, nous fûmes largement les premiers à annoncer l’événement (dans le n° hors-série 46 A, d’automne 1974, de « Ciné-Revue », consacré aux « nouvelles tendances de l’érotisme au cinéma » : depuis déjà relativement longtemps, il était fortement question de supprimer, en France, toute censure pour les films érotiques.

C’est désormais chose faite; avant même que soit votée la loi autorisant la pornographie cinématographique, les pouvoirs publics ont décidé de montrer la plus grande tolérance. Résultat : ce qu’on projette aujourd’hui sur les écrans parisiens n’a plus rien à envier aux audaces scandinaves, qui firent si longtemps rêver les Latins.

Il n’en reste pas moins que cette libéralisation de la censure se limite encore, assez paradoxalement, au cinéma (la presse et, dans une moindre mesure, l’édition demeurant soumise à de pudibonds impératifs) et qu’un durcissement de la censure politique est, parallèlement, à craindre.

De plus, peut-être est-il encore trop tôt pour se féliciter sans réserve d’une « révolution » qui pourrait bien n’être qu’un pétard mouillé et réserver des déconvenues même si, de toute évidence, il est maintenant pratiquement impossible à la censure de faire ma¬chine arrière.

DU PORNO « SOFT » AU PORNO « HARD »

Mais qu’est-ce, exactement, que la pornographie ? Le Petit Larousse la définit comme une « littérature impudique et obscène » (ce qui la limite aux œuvres écrites), le Petit Robert comme la « représentation (par écrits, dessins, peintures, photos) de choses obscènes destinées à être communiquées au public ». Littéralement, « porno » signifie en effet « prostitutionnel » et la pornographie serait donc le commerce de la littérature et de l’art obscènes. Le langage courant admet toutefois fort bien que l’on puisse faire des photos pornographiques pour son propre plaisir et son propre usage, sans songer a en tirer profit ni à les montrer à quiconque.

En d’autres termes, serait pornographique tout ce qui (en matière de littérature, d’arts graphiques, de photos, de films, etc.) est résolument obscène.

Reste à savoir où commence l’obscénité. Pour nous limiter à l’exemple du cinéma, il fut un temps où un film était jugé obscène (et pouvait être interdit pour pornographie) parce qu’on y apercevait le sein d’une figurante. Puis vint un temps où la nudité du sein fut admise et où l’obscénité fut une question de pilosité : seuls les films clandestins — unanimement qualifiés de « pornos » — révélaient la toison pubienne des dames. Le poil intime, pourtant, finit par devenir l’un des ingrédients de l’érotisme autorisé et la porno¬graphie se réfugia dans les sexes eux-mêmes, qu’il demeura interdit de montrer sur les écrans… jusqu’à ce que les « comédiennes » aient le loisir d’écarter largement les cuisses devant les caméras.

Dès lors, ne furent plus classés comme films « pornos » que ceux qui montraient, avec force détails, l’acte sexuel et ses enjolivures. La question se pose de savoir si l’on peut toujours les qualifier de « pornos », maintenant qu’ils sont officiellement tolérés. Après tout, la pornographie fut essentiellement, par le passé, une affaire d’interdits sociaux alertement transgressés.

Adoptons cependant la terminologie qui semble désormais admise : on nomme films pornos ceux qui comportent des scènes où l’acte sexuel est montré. Les Américains, d’ailleurs, ont créé une classification qui semble avoir été définitivement adoptée en nos contrées : ils distinguent le porno «soft» (c’est-à-dire «mou»), où les sexes peuvent être apparents mais où l’acte sexuel n’est que simulé (ou, tout au moins, est filmé de façon discrète), et le porno «hard» (c’est-à-dire «dur»), où l’acte sexuel est réel (et généralement filmé en gros plans aussi révélateurs que possible). Au demeurant, il n’est point rare que les films (en Europe comme aux U.S.A.) soient réalisés en deux versions (une « soft » et une « hard »), pour pouvoir de la sorte « couvrir » tous les circuits de distribution et être vendus aux pays les plus divers. Précisons que, contrairement à la légende, le tournage d’un film « hard » n’engendre nullement l’ennui et se déroule plutôt dans une sympathique ambiance de décontraction, de fantaisie, presque de fête parfois.

Et, au passage, sans doute n’est-il pas inutile de rappeler que, l’érotisme étant ce qui excite agréablement les instincts sexuels, tout film pornographique n’est pas forcément érotique, tout film érotique n’est pas forcément pornographique, mais tout film pornographique peut fort bien être érotique et tout film érotique peut fort bien être pornographique. On commence (tardivement) à admettre, de surcroît, que l’érotisme véritable se soucie singulièrement peu de bon goût et d’esthétisme et que le plus agressivement vulgaire des petits films pornos s’avère fréquemment (parce qu’il va droit à son but, sans s’attarder à de vains alibis culturels ou «artistiques») plus efficacement émoustillant qu’ «Emmanuelle» ou autres «Dernier tango à Paris».

L’ESCALADE DU PORNO

Le porno « hard », en France , ne fut longtemps consommable qu’en achetant des copies (généralement en 8 mm) de films totalement clandestins : jusqu’à une date fort récente, il demeurait, théoriquement, formellement interdit Pourtant, depuis plusieurs années, bon nombre de cinéastes tournaient quelques scènes « hard » pour vendre plus sûrement leurs films à certains pays étrangers.

Parallèlement, depuis un an ou deux, les pouvoirs publics fermaient les yeux sur un procédé illégal (quoique connu de tous) employé par certains distributeurs de province pour « corser » leurs produits : à tout film sexy, on ajoutait quelques scènes additionnelles hautement pornographiques (soit provenant des versions étrangères, soit imperturbablement empruntées à d’autres films, ou tournées pour la circonstance, avec une poignée de figurantes spécialisées et sans la permission du malheureux réalisateur). C’est ainsi que la pornographie acquit droit de cité à Toulon ou Bordeaux bien avant d’être tolérée à Paris !

Le premier film porno « hard » qui fut diffusé officiellement en France (c’est-à-dire programmé publiquement à Paris) fut, au début de l’année 1975, une médiocre coproduction franco-belge signée Jack Guy, « Les Baiseuses » (le film étant distribué en Belgique, sous le titre « Les Violeuses sans ses scènes « hard ») : il s’agissait d’un simple film sexy, auquel ses auteurs avaient ajouté de nombreuses séquences délibérément pornos (pour lesquelles les actrices du film étaient doublées par des professionnelles du « hard »). La censure accorda son visa au film, qui obtint un immense succès financier (près de 160.000 entrées à Paris, en 10 semaines) : le point de non-retour était atteint, les pouvoirs publics venaient d’admettre, sans tambour ni trompette, la tolérance (à défaut de la légalisation totale) de la pornographie cinématographique.

Le reste ne fut qu’une question de semaines : « Anthologie du Plaisir » (« A History of the Blue Movie », d’Alex de Renzy) fut le premier film américain « hard » qui sortit (à grand renfort de publicité) à Paris, suivi par « Exhibition », premier film français totalement « hard » (quoique tempéré par l’alibi d’un reportage douteusement socio-culturel).

Aujourd’hui, les distributeurs lâchent sur le marché des dizaines de films pornos qu’ils stockaient depuis quelques mois, et les producteurs tournent en série des quantités phénoménales de petits films « hard » réalisés en hâte. Sur ces films eux-mêmes, nous reviendrons, d’ailleurs, dans un prochain n° hors-série.

A ce rythme, il est assez évident qu’une prochaine saturation (dont Michel Gentil a fort bien, dans l’interview que nous avons publiée de lui, défini les éléments) est inévitable. D’autant que les films pornos, en majorité, semblent vouloir limiter l’acte sexuel à deux seules pratiques : le coït et la fellation.

Il est piquant de signaler, en passant, qu’un cinéaste fut, voici quelques années, condamné pour avoir réalisé, en France, clandestinement, des courts métrages pornos : Alberto Ferro. S’étant réfugié en Hollande (où il a réalisé un fort beau long métrage porno, « Sensations », et où il a été le héros d’un documentaire « hard » de Falcon Stuart, « Pénétration », avant d’aller aux Etats-Unis réaliser ‘a première super-production « hard », avec un budget d’un million de dollars), Ferro ne peut toujours pas rentrer en France (sous peine d’y être flanqué en prison) alors que la pornographie y est désormais autorisée !

UN PHÉNOMÈNE ECONOMIQUE

L’irruption en France du porno « hard » constitue un véritable phénomène économique, ce qui n’est pas l’un de ses aspects les moins importants, et qui se situe à différents niveaux.

Tout d’abord, le porno a donné un nouvel essor à la production française, apportant, du même coup, du travail à bon nombre de techniciens… et permettant à bon nombre de cinéastes de tourner davantage de films que naguère, en œuvrant dans le porno entre deux œuvres « de prestige ». Les choses ne vont d’ailleurs pas toujours sans malentendus équivoques, les tabous culturels ayant la peau dure : auteur de films pornos en chaîne, Serge Korber a préféré faire signer les premiers de ceux-ci par son assistant, Alain Nauroy (dont « La Villa », remake « hard » d’ « Orange mécanique », fut la première vraie réalisation).

Le porno, par ailleurs, offre à beaucoup de comédien(ne)s dé-butant(e)s la possibilité de faire leurs gammes et de gagner beaucoup plus d’argent que dans des films « normaux » : le salaire moyen, pour une journée de « hard », est de 1.000 francs (9.000 francs belges) et la multiplication des tournages permet à certain(e)s spécialistes de travailler . absolument tous les jours, selon un planning rigoureusement établi. Toutefois, divers producteurs jugent peu utile d’employer, à ce tarif, des acteurs et actrices de profession : pour 300 francs (2.700 francs belges) par jour, ils préfèrent louer les services de danseuses nues ou de strip-teaseuses qui acceptent d’arrondir ainsi leurs fins de mois.

Il est instructif de pouvoir observer les professionnelles du porno. Pour la plupart, mais il y a des exceptions, elles n’ont aucun goût particulier pour le cinéma et n’exercent ce métier que pour l’argent qu’il rapporte : peu leur importe le film dans lequel elles tournent et le metteur en scène qui les emploie. Il en est d’autres, cependant, qui rêvent de « faire autre chose », qui guettent la moindre figuration dans un « vrai » film et qui se rendent méconnaissables (par le maquillage et le port de perruques) pour faire, sous un pseudonyme, du « hard ». Presque toutes estiment qu’elles sont encore insuffisamment payées et aucune ne songe que leur salaire quotidien équivaut au salaire mensuel, ou peu s’en faut, de certains ouvriers. Leur grande hantise n’est pas, pour autant, l’argent, mais la crainte des maladies vénériennes (cette crainte poussant filles et garçons à être, sur un tournage, d’une propreté maniaque).

Mais c’est à l’Etat que le cinéma porno rapporte les plus gros gains — et ceci pourrait fondamentalement expliquer le brusque libéralisme de la censure face au hard En effet, le film porno a fait grimper en flèche l’indice de fréquentation des salles de cinéma, dont il représente actuellement 50 % du chiffre : les lourdes taxes sur les prix d’entrée se traduisent par d’appréciables rentrées d’argent dans les coffres gouvernementaux. Non content de cela, l’Etat n’hésite pas (au nom d’une ségrégation culturelle qui nie au cinéma porno le droit de se prévaloir de l’« art ») à étrangler la poule aux œufs d’or : toute aide financière est désormais refusée aux producteurs, importateurs ou diffuseurs de films pornos et l’on vient d’instaurer un important impôt forfaitaire sur la production ou l’importation de tout film du genre.

De surplus, on s’est bien gardé d’abolir totalement la censure, afin de pouvoir continuer à interdire tout film qui, sous prétexte d’érotisme, pourrait être politiquement un peu subversif : plusieurs films (« La Villa », « Les demoiselles à péage », etc) ont eu des ennuis avec les ciseaux de Dame Censure, récemment. C’est, bizarrement, en matière de titres que la censure demeure la plus chatouilleuse : « La chatte mouillée » a été toléré, « Caresses de chattes » a été interdit ; « Les Tringleuses » et « Les Jouisseuses » ont eu la bénédiction des autorités, « Les Mouilleuses » leur a fait froncer les sourcils!

LES GLOIRES DU PORNO

Comme n’importe quel autre genre cinématographique, le porno a désormais ses stars. Aux U.S.A., des comédiennes comme Linda Lovelace, Tina Russell, Marilyn Chambers ou Georgina Spelvin sont devenues aussi populaires que les plus grandes vedettes du cinéma traditionnel. En France, Claudine Beccarie, Silvia Bourdon ou Tania Busselier commencent à accéder à un vedettariat que le simple cinéma sexy ne leur avait pas apporté. Certains acteurs masculins ont, de même, connu gloire et fortune grâce au film porno. C’est le cas du joyeux moustachu Harry Reems, que l’on reconnaît dans bon nombre de films « hard » des plus célèbres, aux Etats-Unis: il en aurait tourné… plus de 400 ! Harry vient de publier ses mémoires, en un copieux volume bourré d’anecdotes et de remarques pleines de saveur.

« N’importe qui, écrit-il, est capable de devenir une vedette du porno : il suffit de savoir surmonter ses propres inhibitions pour considérer l’acte sexuel comme une chose naturellement gaie. Personnellement, j’ai eu la chance de débuter dans de petits courts métrages clandestins où il m’était loisible d’avoir l’air très gêné : on n’y voyait jamais le visage des comédiens. Quand j’ai commencé à jouer dans de grands films pornos, j’avais appris, par la force de l’habitude, à être parfaitement dé-contracté devant une caméra, pour y faire l’amour. Le plus simple est de parvenir à se concentrer totalement sur ce que l’on fait et d’oublier qu’on fait ça pour un film. Si votre partenaire ne vous emballe pas, il faut arriver à l’oublier. Je n’use d’aucun aphrodisiaque, je n’ai aucun secret : tout est dans la concentration ».

Pour une « porno-star », il est cependant moins simple qu’on le prétend de sortir du ghetto, de la pornographie. Récemment, Linda Lovelace fut la vedette d’une comédie vaguement sexy mais point du tout « hard », « Linda Lovelace for President » : la présentation de ce film déclencha des tempêtes de protestation. Linda osait faire autre chose que du porno ? C’était inconcevable, et l’on ne se gêna pas pour le clamer à tous vents ! Aux yeux du public comme de la critique, le nom de Linda Lovelace est, une bonne fois pour toutes, devenu synonyme de film porno ; pour poursuivre sa carrière, la comédienne est condamnée, irrémédiablement, à ne plus paraître devant une caméra sans y faire l’amour…

POURQUOI LE PORNO ?

De doctes sociologues s’interrogent (le plus souvent en vain) pour savoir quelles motivations profondes ont pu faire que le public, brusquement, fasse un triomphe au cinéma porno.

En fait, il semblerait que le public, dans son ensemble (et quoique ne l’avouant que très rarement, la tartuferie collective ayant les reins solides), ait toujours été favorable à la pornographie. Il n’est, pour s’en convaincre, besoin que de voir le succès qui fut traditionnellement fait aux photos cochonnes vendues sous le manteau, aux livres clandestins, aux magazines importés du Danemark ou aux films vendus en copies 8 mm.

La seule nouveauté est que ce public peut, désormais, consommer de la pornographie au grand jour, sans se cacher. L’habitude, d’ailleurs, est décidément une seconde nature et les vieux tabous ne meurent pas facilement : alors que les films pornos pulvérisent les records de recettes, presque personne n’avoue aller en voir !

Ce n’est pas par hasard, ni par souci de philanthropie, que les pouvoirs publics ont décidé de tolérer le cinéma porno. La subite libéralisation de la censure a, de toute évidence, plusieurs objectifs concrets (outre celui de rapporter un maximum d’argent en un minimum de temps). En faisant sortir le porno de la clandestinité, il est certain qu’on les désamorce, qu’on le prive du charme des choses interdites. En s’officialisant, la pornographie perd tous les pouvoirs subversifs qui faisaient naturelle¬ment partie de son potentiel d’agressivité et d’efficacité. A long terme, lorsque l’attrait de la nouveauté sera émoussée, il est même prévisible que, parce que désormais considéré comme « normal » et « naturel », le porno puisse ne plus guère intéresser une bonne part de ceux qu’il passionne actuellement.

Il ne faut pas conclure (comme s’empressent de le faire ceux qui, depuis dix ans déjà, proclament que le sexe n’est qu’une mode qui bientôt n’intéressera plus personne !), pour autant, que le cinéma porno n’aura, demain, plus aucune clientèle (l’exemple de la Scandinavie étant, à ce sujet, révélateur : on y consomme du porno depuis des années, sans en être le moins du monde écœuré). De tous temps, l’érotisme (qui, répétons-le, peut aussi bien se dénicher dans un film porno qu’ailleurs) a fasciné l’être humain, qui éprouve un sourd mais impérieux besoin de magnifier la sexualité par sa représentation (graphique, littéraire ou autre). Il n’y a pas seulement là une recherche de stimulants érotiques (laquelle n’est pas, toutefois, à dédaigner), mais aussi une volonté inconsciente de pénétrer les secrets de ce qu’il y a d’indéniablement « magique » dans la sexualité : en un sens, la pornographie peut être considérée comme une manière de rituel ésotérique offert à l’inconscient collectif et célébré par ses propres fantasmes.

Faire l’amour n’est (heureusement pas une fonction aussi «simple», aussi «naturelle», que celle de manger ou de boire. A tort ou à raison, l’homme en a fait autre chose, l’a entourée de mystères avec lesquels il faut définitivement compter. Érotisme et pornographie concourent à solutionner partiellement ces mystères… tout en faisant délicieusement leur jeu.

Il n’en reste pas moins que la pornographie, au cinéma, est aussi actuellement une mode, avec tout ce que cela comporte d’équivoque, de douteux et de lamentable : la majeure partie des films pornos du moment sont de dérisoires produits de stricte consommation qui jouent sur le maintien des tabous, la survivance des interdits et le respect des inhibitions qu’ils ne servent qu’à renforcer gravement.

POUR OU CONTRE LE CINÉMA PORNO

C’est cette mode qui rend suspecte la pornographie. De « Foire aux Sexes » en « Gorge profonde », combien nous sont proposés de films pornos dont l’unique but (rapporter beaucoup d’argent) passe par la scandaleuse exploitation éhontée des mythes sexuels les plus foncièrement répressifs et rétrogradement abrutissants ?

Telle qu’elle est fréquemment illustrée au cinéma, la pornographie participe au maintien des gens dans un misérabilisme sexuel étouffant — tout en prétendant participer, justement, à cette fameuse «révolution sexuelle» dont on parle tant.. et qui ne bouleverse rien du tout, bien au contraire.

L’un des traits caractéristiques de la pornographie moderne (sauf quelques exceptions, heureusement) est son respect de la misogynie évidente dont s’est, de tous temps, entaché l’érotisme des civilisations basées sur le phallocratisme. A différents degrés, et malgré la bonne volonté de certains réalisateurs, la femme reste l’élément passif et soumis dans les films pornos même chez les meilleurs (ou plutôt, si l’on envisage lucidement la situation, chez les moins médiocres) auteurs : de José Bénazéraf à Jess Franco, à
qui il arrive de signer des films hautement estimables, ou de Gerard Damiano à Jean-François Davy, qui n’œuvrent que dans les limites de la morale bourgeoise officiellement admise, érotisme et pornographie flattent essentiellement la bonne conscience masculine, continuent à mythifier la sacrosainte virilité, méprisent plus ou moins toute femme quelque peu « libérée ». Il n’est guère aisé de se débarrasser, d’un seul coup, de vingt siècles de conditionnement moral !

Il est frappant, à ce sujet, de constater qu’il n’existe pratiquement de films érotiques faits par des femmes (le nom de certaines « réalisatrices » n’étant que le pseudonyme de certains réalisateurs) et, à plus forte raison, qu’il n’existe strictement aucun film érotique destiné au public féminin.

Peut-être ne faut-il pourtant pas trop hâtivement jeter la pierre aux mâles phallocrates, à ce sujet : en majorité, les femmes continuent à accréditer le bon vieux mythe de la pornographie qui « ne les concerne pas » puisque ça ne leur fait « aucun effet »… Une véritable révolution sexuelle passerait aussi bien par une prise de conscience féminine que par celle des hommes.

Il demeure que — pour timide que soit l’évolution ainsi amorcée — la prolifération de films pornos est sans doute positive et qu’il faut s’en féliciter. La légende réactionnairement bourgeoise d’un érotisme culturel « beau » (donc de bonne fréquentation), à opposer à une pornographie ignoblement « sale » et « dégradante » (donc réservée à l’usage de honteux malades mentaux), pourrait fort bien s’effriter, au détriment des vieilles notions, à jamais périmées, de la « noblesse de l’art » réservée à une élite.

De plus et surtout, il est probable que la démocratisation (même relative) de la pornographie (même hypocritement détournée) ne saurait que concourir à une évolution concrète des mœurs, dans un sens positif. Et, en cela, la libération du cinéma porno constitue un phénomène d’une importance primordiale.

Jean-Pierre BOUYXOU

De:
Date: octobre 20, 2019

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