Sélectionné en Avril 2022 au Festival Visions du Réel, à Nyon (Suisse), le documentaire « Ardente.X.s » suit un collectif de jeunes femmes qui font des films X éthiques.
Réalisé par Patrick Muroni et produit par Climage, le documentaire « Ardente.X.s » fait partie de la compétition nationale du Festival Visions du Réel, qui se déroule du 7 au 17 avril 2022 à Nyon (Suisse). Il suit ce groupe de jeunes femmes pleine d’énergie, passionnées par ce qu’elles font. Le film pose un regard édifiant sur la libération sexuelle et sur le porno en tant qu’art (quelle élégance!) et le présente comme la plupart des mortels ne l’ont probablement jamais vu.
À Lausanne, en Suisse, un groupe de jeunes femmes et de personnes queers d’une vingtaine d’années se lance, caméra au poing, dans la réalisation de films pornographiques. Entre leurs jobs pour certaine.x.s et leurs études pour d’autres, iels mettent tout en œuvre pour produire des films éthiques et dissidents. Très vite, les médias du pays, puis le public, s’intéressent au collectif. Aux yeux de tous, les voilà plongée.x.s dans un combat pour une autre vision du désir et de la sexualité.
SYNOPSIS
In Lausanne, Switzerland, a group of young women and queers in their early twenties are making pornographic films, camera in hand. Between their jobs for some and their studies for others, they do everything possible to produce ethical and dissident films. Very quickly, the country’s media, and then the public, became interested in the collective. In the eyes of all, they are now involved in a fight for a different vision of desire and sexuality.
ENGLISH SUMMARY
Engagée·x·s dans une démarche artistique et politique, iels créent des films X visant à représenter de manière positive des sexualités et des corps dans toute leur diversité. Ardente·x·s suit l’aventure du collectif, les coulisses des productions, les prises de parole dans les médias, les manifestations et les moments plus intimistes pendant lesquels iels nous invitent à découvrir leur quotidien. Avec ce premier long-métrage audacieux, Patrick Muroni – cinéaste suisse formé à l’ECAL – fait le récit de leur combat pour une autre vision du désir et des sexualités. Sa caméra suit l’aventure de ces nouvelle·x·s pornographes qui arpentent avec joie et irrévérence les rues de Suisse pour revendiquer haut et fort d’autres manières de transmettre du plaisir. L’avènement d’une libération sexuelle non-genrée est en route.
COMMENTAIRE
ENTRETIEN AVEC PATRICK MURONI
Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Tout a commencé en novembre 2018. Une amie à moi, Nora Smith, m’a parlé de cette boite de production de films pornographiques qu’elle voulait lancer avec Mélanie Boss. À la base, elles ne connaissaient pas, mais elles ont tout de suite crochés ensemble, et puis très vite le reste du collectif à suivi. De mon côté, je leur ai demandé si je pouvais venir les filmer aux réunions, dans leur travail et puis petit à petit dans des moments plus intimes. Au début, je ne savais pas du tout ce que ça allait être comme film. Je pensais même en faire un court-métrage, mais c’est mon producteur, Stéphane Goël, qui lorsque je lui ai montré ce projet à tout de suite vu un potentiel pour un long.
Comment le collectif intégré votre présence et celle de la caméra ? Est-ce que ça a pris du temps ?
Le fait que je connaisse Nora a beaucoup aidé, c’est sûr. Ce n’est qu’après m’avoir rencontré que les autres membres du collectif m’ont fait confiance. Je les ai d’abord suivies à raison d’une à plusieurs fois par mois pendant plus d’un an. J’allais avec iels, parfois sans caméra, dans leurs réunions, tournages, projections, débats, cafés entre ami.e.s, raves partys, ou repas dominicaux. J’ai appris à les connaître et à les comprendre dans leur vie et leurs démarches, et petit à petit, je sortais de plus en plus la caméra. Ce qui est génial, c’est que sont des gens si entiers et entières qu’iels n’avaient aucune gêne lorsque je filmais, c’était toujours très spontané. C’est d’ailleurs ce qui fait que j’avais des personnages puissants à filmer. elles avait toutes des choses fortes à donner et à dire.
Et comment s’est construit votre regard de réalisateur ? Y avait-il un défi en particulier ?
J’ai très vite senti que je devais faire attention, oui. Étant un homme cis hétéro, j’ai du déconstruire mon regard. Et je dis déconstruire, mais je devrais plutôt dire reconstruire. J’ai évidemment lu des ouvrages qui m’ont aidé pour comprendre ce qu’était le queer, mais aussi comment ne pas rentrer dans un male gaze. J’ai commencé à m’intéresser au travail d’Iris Brey, Virigne Despentes, Manon Garcia, Victoire Tuaillon, Mona Chollet… Mais quand j’y repense ma plus grande source d’informations, c’était directement auprès d’iels. Et donc, oui, c’était un défi de taille, parce que je me suis rendu compte que je devais, lors des tournages pornos, filmer des corps de femmes et/ou de personnes queers qui se sexualisent sans que moi je ne les sexualise. Et en fait, c’était avant tout une histoire de cadre et de montage. De cadre parce que le plus important, c’était d’éviter la fragmentation des corps, et pour ça le plan large permet de donner à voir avec un contexte et de montrer le personnage en son entier. Après, je ne crois pas qu’il faille être dogmatitque, et on peut aller chercher des plans serrés, ce que j’ai d’ailleurs fait a plusieurs moments, mais j’ai l’intime conviction qu’il faut le faire avec une idée très précise en tête, et évidemment, sans vouloir objectifier la personne qu’on filme, c’est la base. Avec mon chef-opérateur, Augustin Losserand, avec qui on a partagé l’image de ce film, ça a été un travail de longue haleine et qui a demandé énormément de réflexion. Et on pourrait penser que c’était contraignant, mais en fait non, au contraire, je n’ai jamais autant réfléchi à ma mise en scène que sur ce film. Le montage par la suite a été un outil formidable pour questionner mon regard. J’ai eu la chance de travailler avec Ael Dallier Vega, et elle a apporté un nouveau souffle au projet dès le dérushage. On a longuement réfléchi à comment montrer certaines séquences et ça m’a permis une nouvelle fois d’affiner mon regard. Bien sûr, à la fin, le collectif a vu le film avant qu’il ne soit complètement terminé pour qu’on soit toutes sûr qu’on visait la même chose. Pour moi, c’était important d’avoir leurs retours, et d’ailleurs quelques-unes dernières retouches de montage ont, entres autres, été faites suite à leurs avis. Ce qui, je crois, en documentaire arrive assez peu.
À votre avis, à qui s’adresse le film ?
À mon sens, à toute personne de plus de dix-huit ans ! Il y a évidemment des séquences où l’on voit des tournages pornographiques, et donc des sexes à l’écran. Alors oui, ce n’est pas pour un public tout jeune, c’est certain. Après, le sexe et le porno, c’est des sujets universels et donc qui peuvent potentiellement parler à tout le monde. Mais pour être complètement sincère, j’espère, bien sûr, que ça parlera au grand plus nombre ainsi qu’aux personnes déconstruites, au milieu queer, mais aussi, et c’est très important pour moi, aux hommes hétéro et cis, quels qu’il soit. Je dis ça parce que j’ai l’intime conviction qu’aujourd’hui, quand on est soi-même un homme, blanc, cis et hétéro, et qu’on veut être un allié du féminisme, la première chose à faire c’est de parler à ses semblables.
Dans ce cas, est-ce qu’on peut parler d’un film militant ?
Pour moi, c’est avant tout un film engagé, mais j’imagine que ça peut être vu comme une œuvre militante. Au fond, ça ne me dérange pas, mais de mon côté je fais la distinction dans le sens où j’ai toujours cherché à garder une distance avec mes personnages. Je suis évidemment touché par ce qu’iels font, mais l’idée n’était de ne pas avoir des revendications trop évidentes. Je crois que c’est avant tout un film sur le regard et sur la liberté, et donc il y avait toute une réflexion à construire, qui est évidemment politisé, mais pas sous une forme militante. L’idée n’était pas non plus de faire quelque chose de subversif, au contraire, j’ai essayé de dire ce que j’avais à dire de la manière la plus directe et frontale, mais jamais provocatrice.
Le film a une dimension hybride entre documentaire et fiction, c’était quelque chose que vous aviez en tête dès le début ?
Oui, complétement. À vrai dire, je pensais même que l’aspect fictionnel serait encore plus présent, mais la puissance des scènes immersives a été souvent bien plus fortes que ce que j’avais imaginé. La fiction est restée présente surtout dans ma manière de filmer. Beaucoup de scènes ont été tournées au pied et pas à l’épaule, c’était important pour moi d’aller chercher une esthétique que j’avais déjà travaillé dans mes précédents courts-métrages de fictions. Ça s’y prêtait particulièrement ici et ça a donné une dimension un peu différente au film que si j’avais tourné de manière plus conventionnelle. Le fait aussi d’organiser des tournages en amont et de mettre en scène le collectif permettait de reparler de choses qui avaient été parfois dites sans que je puisse les enregistrer, et d’aller aussi chercher une mise en scène peut-être plus intéressante. Bien sûr, tout était fait en lien avec les protagonistes, et iels étaient toujours au courant de ce qu’on allait tourner.
Pour finir, la fin du film diffère un peu de l’ensemble, ça aussi vous l’aviez réfléchi dès le début ?
En quelques sortes, oui. J’avais envie que le collectif s’en aille de la Suisse pour aller tourner un gros film à l’étranger, et ça, dès le début de l’écriture du projet. Et j’ai eu de la chance, c’est ce qu’il s’est passé ! C’était assez dingue comme tournage, je pense que c’est une des aventures les plus folles que j’ai vécues dans ma vie. On s’est fait entrainer dans l’univers du collectif pendant une semaine entière, et ça nous a permis d’être au plus proche d’iels. C’est là aussi qu’on a pu les filmer dans des moments de joies et de libertés si intenses que sur le moment, pour moi ça faisait aucun doute que ce serait la fin du film.