Comme bon nombre de ses congénères avant elle, l’actrice X française Katsuni a décidé de stopper sa carrière porno en 2013 pour s’adonner à une carrière artistique dite « classique ».
Point de single d’eurodance à l’horizon pour Céline Tran, son vrai nom, mais l’écriture d’une bande dessinée à l’esthétique vampiriste trash. Une distinction de plus pour celle qui dit préférer lire Georges Bataille plutôt que de mater un bon vieux porno pour trouver l’excitation.
Rencontre avec une légende du X en pleine mutation pour Brain-Magazine.
On a récemment pu te voir dans une vidéo avec des combats d’arts martiaux à la Kill Bill. De quoi s’agit-il ?
Céline Tran (Katsuni) : C’est une vidéo promotionnelle qui accompagne la sortie de ma BD. En fait, le concepteur de la BD a l’habitude de tourner des petites vidéos pour sa collection avec ses propres moyens. D’ailleurs c’est comme cela que tout a commencé : il m’avait contactée pour incarner un personnage de danseuse dans l’une de ses vidéos. Puis ça a débouché sur une collaboration autour de l’écriture de la BD. Je me suis bien marrée à tourner cette vidéo, c’était une première pour moi de tourner une scène de combat. C’est cool de pouvoir interpréter un personnage, en l’occurrence le personnage qui a été inspiré de mes traits, de mon histoire. J’ai voulu faire quelque chose de différent de là où l’on m’attendait. En BD, on peut tout se permettre, il n’y a pas de limite de budget. Le thème du vampirisme est très présent, et en cela, il y a un lien avec la pornographie, qui incarne ma vie d’avant.
A quel moment et pourquoi as-tu décidé d’arrêter le porno ?
Ca s’est fait de manière ultra-spontanée, c’est un ensemble de choses. J’ai arrêté pour les mêmes raisons que j’ai commencé. Quand j’ai commencé, c’était pour aller à l’opposé de ma personnalité – je suis quelqu’un de très pudique, normalement. Au bout d’un moment, quand on a exploré ce métier avec tous ses plaisirs, ses vices et qu’on se rend compte que sexuellement, on a tout fait, on réalise qu’on se retrouve à «bosser». Je me suis rendue compte que le milieu avait changé, et que moi aussi j’avais changé. Ca ne m’amusait plus ; je pouvais continuer d’en vivre, mais mon vrai moteur, ce n’était pas ça. J’avais la sensation de ne plus rien apprendre. Je ne voulais pas m’ennuyer ni me lasser en exerçant un métier aussi intime – c’est destructeur sinon.
Quel est ton meilleur souvenir pendant ces années-là ? Un partenaire, peut-être, ou un film ?
Ce qui est marrant avec ce métier, c’est que même les mauvaises expériences prêtent à rire. Je vois cela comme une blague, en fait. Aujourd’hui, quand je vois des images avec moi, j’hallucine. Je compare cela à une grosse cuite : tu passes une super soirée, tu enchaînes les mojitos, tu t’amuses, tu te réveilles le matin et tu as un peu une gueule de bois… Et puis tu te refais le film de toute la soirée et tu hallucines sur ton comportement ! Tu n’es pas forcément fière, mais en même temps, tu t’es bien marrée.
C’était « bonne ambiance » sur les plateaux ?
Oui, complètement – après, je me suis toujours arrangée pour me retrouver sur des plateaux avec des personnes que j’apprécie. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de non-dits et de manipulation en-dehors du porno qu’au sein de ce milieu. Dans le porno, si tu veux baiser avec quelqu’un, tu le fais ; il n’y a pas de séduction malsaine ou foireuse, on sait pourquoi on est là.
Est-ce qu’un acteur ou une actrice porno peut vivre une relation amoureuse monogame, en-dehors de son activité professionnelle ?
Il n’y a pas de règle. Il y a plusieurs cas de figures, il y a des cas où la fille est actrice et le mec est réalisateur, certains couples sont constitués d’acteurs, parfois l’un des deux seulement est acteur… Certaines actrices ont aussi des enfants. Il suffit de trouver la personne avec qui l’on va pouvoir établir des règles qui nous conviennent. J’ai déjà eu des relations amoureuses en pratiquant mon métier où c’était simple. Mais au final, je pense que c’est contre-nature car au bout d’un moment, quand on est amoureux, on cherche l’exclusivité.
Comment peut-on vivre une relation quand on est actrice porno, alors ?
Il faut faire la part des choses : ça reste un métier avant tout. J’ai toujours aimé faire mon métier avec sincérité – quand je fais une scène, ce n’est pas « les cinq positions prévues et puis je me casse », non, j’ai envie de partager quelque chose avec mon partenaire. C’est terrible, parce que parfois, la connexion peut être plus forte avec un acteur qu’on ne connaît pas qu’avec son petit ami. Il y a une alchimie qu’on ne peut pas toujours contrôler. Mais de manière générale, c’est plus facile pour la personne qui tourne que pour la personne qui reste à la maison. Ca pose des questions de culpabilité. Ca fait nous poser des questions, c’est aussi pour ça que j’ai arrêté. Si un jour, on compte avoir une vie de famille, c’est mieux d’arrêter.
Les rapports sont faussés avec les hommes ? Tu es vue comme un fantasme ultime ?
Tu repères vite si la personne a vu tes films ou pas ! (Rires) Souvent, le regard trahit. C’est normal, je pense – si demain, je rencontre quelqu’un dont je suis fan, c’est normal que j’aie une sorte de regard transi. Il peut donc y avoir une gêne ou un malentendu avec moi au départ, mais je ne joue pas. Il y a un temps pour être séductrice, donc devant une caméra, et un temps pour être soi-même – la plupart du temps, donc.
A plusieurs reprises, des équipes de télé t’ont suivie. C’est quelque chose que tu aimes ? Tu veux être le centre de l’attention ?
Si je faisais un road trip où l’on me suit dans ma nouvelle carrière, ça pourrait être sympa. Ca ne m’intéresse pas de faire quelque chose où tout est pré-écrit – en revanche, il faut que ça m’apporte quelque chose, ou qu’idéalement, ça apporte quelque chose aux gens qui le regardent. Si c’est pour être en bikini au bord d’une piscine, je n’y vois pas d’intérêt.
Souvent, les actrices X veulent devenir actrices traditionnelles après le porno. Est-ce également ton cas ?
L’écriture est l’une des voies que je souhaite désormais explorer le plus. J’aimerais écrire un livre sur mon expérience ; je crois avoir désormais suffisamment de recul pour en parler. J’ai pratiqué un métier extrême qui touche à l’intimité, à la sexualité, aux rapports de force, au pouvoir, à la vie de famille… c’est très intense. A travers cette expérience, je peux raconter plein de choses qui peuvent toucher les gens. J’aimerais également faire du cinéma, oui, j’ai des tournages de prévus mais je ne peux pas en dire plus. Je découvre les joies du cinéma traditionnel, qui est très lent. Dans le porno, les choses vont très vite : on est booké du jour au lendemain. Dans le cinéma, il faut parfois six mois ou un an pour que ça se mette en place.
Es-tu toi-même consommatrice de porno ?
C’est très rare ; ça me déprime en général, je trouve ça triste. Je ne peux absolument pas regarder une scène où je connais les acteurs – ça ne me fera aucun effet, je ne peux pas prendre au sérieux mes potes. Je vais repérer si la fille a du plaisir ou non, ses techniques, ses stratégies… je ne peux pas regarder un porno en simple spectatrice.
L’amitié peut donc exister entre des acteurs et des actrices porno ?
Oui, bien sûr ! Mes meilleurs amis sont respectivement un ancien et une ancienne actrice porno. Le porno est dans la vie de tous les jours, dans l’érotisme, dans les situations inattendues, dans l’improvisation, dans les rencontres… La vidéo fait réagir – comme quand on voit une tarte tatin avec une boule de glace à la vanille. En réalité, moi, ce qui m’excite le plus, c’est ce qui va jouer sur mon cerveau. Il y a une forme de tristesse dans le porno ; j’ai participé à cela donc je ne le dénigre pas, mais si j’ai aimé faire du porno, je n’aime pas pour autant en regarder. Pareil avec certains amis que j’ai au Cirque du Soleil, ils ne vont eux-mêmes jamais au cirque ! Moi j’aime vivre le sexe, et non pas le regarder. Si je veux quelque chose qui m’excite vraiment, je vais lire du Georges Bataille.
Est-ce que pour toi, le porno avilit la femme ou la libère ?
Ni l’un ni l’autre : ça avilit uniquement si on accepte de le vivre comme tel, mais comme n’importe quelle autre activité au final. Certaines personnes se font malmener dans des boulots dits respectables. Quand j’ai commencé le porno, je trouvais ça super excitant et libérateur de m’habiller en pute, pour casser mon image de jeune fille réservée. Le problème arrive quand ça devient un système, une mécanique qu’on nous impose. Quand on m’a dit que j’étais une pute, là, il y a un problème. Je ne voulais pas m’enfermer dans un personnage. Ce qui est triste avec la plupart des actrices X, c’est qu’elles arrivent à se persuader qu’elles ne sont bonnes qu’à ça, à cause des discours extérieurs notamment. C’est la pression sociale.
Si tu as une fille qui te dit qu’elle veut faire du porno, tu réagis comment ?
Je l’enferme dans un placard ! (Rires) Non, je suis incapable de répondre à cette question, c’est quelque chose qui ne se prévoit pas. Quand on devient parent, tout change, on voit la vie différemment. Si j’ai une fille, ce qui m’importe, c’est qu’elle sache qui elle veut devenir.
Penses-tu qu’il existe un porno «intello» comme certains et certaines le prétendent ?
Je ne sais pas quelle est la définition du porno intello : pour moi, un bon porno, c’est un porno qui fait bander. Après, il y a mille et une manières d’exciter. Je pense ceci dit qu’il y a un intérêt grandissant pour le porno fait par les femmes et qui n’est pas forcément fait que pour les femmes. Mais les discours ont tendance à m’ennuyer ; dès que ça part dans la philosophie, ça me fatigue. Après, ça dépend de la définition qu’on a du porno : il y a des films dits pornos qui se font, qui sont un produit et que l’on vend. Et puis après, il y a des films pornographiques comme Nymphomaniac – je l’ai adoré, ce film. Il est extrêment brillant. Mais si les gens y vont pour se branler, ils se trompent – c’est un porno intello, dans un sens. Un porno intelligent car il a du sens. Mais on ne va pas y aller pour se masturber après. Donc c’est un mauvais porno ! (Rires) On dira que c’est un bon film, mais un mauvais porno ! (Rires)